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Guerre 1914 / 1918 - Le 407° R.I.
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28 février 2011

RONDE DANS LA NUIT (31)

RONDE DANS LA NUIT

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Dans le boyau Cellos, les hommes de la 4ème ½ section étaient assis dans diverses positions.  PRACHET faisait du feu, et plaçait sur le papier allumé quelques brindilles de bois vert que lui apportait LEVEEL.

" Mais, voyons, PRACHET, lui dis-je, agacé, tu mets trop de bois humide! Tu va faire de la fumée, et certainement, les boches nous enverrons quelques marmites! "

" Ah, les gradés, ricana LEVEEL, y sont tous les mêmes! Toujours la colique… On peut tout d'même bien essayer de faire chauffer la soupe! "

" Tant pis pour Toi si on est marmités! "

            Un agent de liaison arriva, expédié par le Lieutenant VOINIER, qui donnait l'ordre d'éteindre le feu…

            Il n'avait pas fini de parler, qu'on entendit un long sifflement arriver sur nous. D'abord lent et sourd, ensuite plus rapide et plus aigu! Une forte explosion ébranla la tranchée, pendant qu'une pluie de pierres et d'éclats retombaient tout autour de nous. Toute l'escouade rentra bien vite à l'abri, en jurant après les boches.

            Les hommes de soupe arrivèrent et posèrent les gamelles dans l'abri. Chacun se précipita à la distribution.

            Après la soupe, les uns s'allongèrent sur les couchettes, les autres se préparaient à faire une partie de cartes.

" dépêchez-vous! GIROUD, amène ta couverture! BALLET prends une bougie! Mets-la dans l'anneau de ma baïonnette… DUPLAIN, c'est à toi de commencer… "

Et les cartes, sales et collantes, se mettent a glisser dans les doigts terreux, avec beaucoup de trichage! Couché sur ma couchette en fil de fer, je regarde en souriant mes quatre loustics faisant leur manille. La bougie,, collée sur la poignée de la baïonnette piquée dans le sol, projette sa pâle lumière sur les choses de terre et de bois qui nous entourent, et qui composent notre triste demeure souterraine… Aux poutres du plafond, pendent des équipements boueux, des épées baïonnettes à demi rouillées. Dans de petites excavations creusées dans les parois de terre, les hommes ont placés leurs gamelles et leurs grosses boule de pain biscuité.

Ah! ces heures passées dans les abris humides, où l'on étouffait, faute d'air! L'eau suintait goutte à goutte! Les rats dévoraient le pain dans les musettes! Les poux nous empêchaient de dormir! Il n'était pas rare, en s'éveillant, de s'apercevoir qu'un rat vous avait dévoré un morceau de capote, ou un fond de pantalon! !

            Je me souviens, un soir, dans le Secteur de la Bolante, je faisais ma ronde dans mon secteur; Une nuit noire… on ne voyait pas à deux mètres devant le bout de son nez! J'avais placé  mes sentinelles ainsi: P.P.17: LEVEEL et LASSERRE. – P.P.16: HERBRECHT et GIROUD. – P.P.15: GOUSSAY et DUCHESNE – P.P.14: BALLET et GRAND. – A l'entonnoir, se trouvait BAYLE et un nouveau de la section, DIEULANGARD, avec DUPLAIN comme fusiller-mitrailleur.

            La nuit était d'un calme effrayant! Pas un coup de feu! Pas une fusée éclairante! Je vais à P.P.13; je m'assieds cinq minutes sur la banquette de tir, et je cause avec NOGARO et BILLET, de la 3ème section. Comme le poste est à ciel ouvert, il est renommé pour sa tranquillité! Je continue ma ronde, et me glisse dans le boyau couvert menant à P.P.14. J'avance à tâtons dans le boyau souterrain. Je trouve BALLET et GRAND inquiets. BALLET tremble.

" Qu'y a t'il, BALLET? Q'avez-vous? "

" Je crois bien que les boches sont au dessus de notre têtes! On entends du bruit! "

" Oui, chuchote GRAND, on dirait qu'on traîne des perches! "

            J'écoute un moment: On entend, en effet, remuer au dessus de nous!  Je rassure les deux guetteurs, et je quitte ce poste. Arrivé dans la tranchée, j'entends remuer dans le réseau… Je m'arrête… Une respiration rauque en haut de la tranchée… Je sens la frousse qui m'attrape… Ces deux imbéciles-là, avec leurs bêtises, m'ont fichu le trac! Je suis là, adossé à la paroi de la tranchée, n'osant ni avancer, ni reculer, et pourtant, je suis armé d'un pistolet Ruby à huit coups! Et d'un pistolet lance-fusées chargé d'une fusée éclairante! Je pensais:

" C'est un boche qui est là, couché sur le parapet! Il me guette, et quand il me verra

bouger, il me lancera une grenade sur le citron… "

Des bruits dans les réseaux… Une pierre roule dans la tranchée… Je fais plusieurs pas à droite… Si c'était une grenade? Un sac à terre s'écroule… Je me fais le plus petit possible, et je crie:  " Qui vive? Où je fais feu! … Rien… pas de réponse… Je sors mon pistolet de l'étui, je vise une silhouette noire sur le parapet, et je presse deux fois sur la gâchette. Deux détonations claquent dans le silence de la nuit… Rien… Si…  Une boîte de conserves, vide, tombe… Je prends le pistolet lance-fusée de la main gauche, et tire en l'air…

A la lueur de la fusée qui monte, j'aperçoit un énorme rat qui se sauve, effrayé… Cette maudite bête m'a flanqué une sacré frousse! Le Sergent SCARONI arrive en courant.

" C'est vous, ARVISENET? Qu'y a t'il?"

" Rien, lui dis-je en riant, c'est un rat qui vient de me faire peur… " et je lui raconte ma frousse. SCARONI s'éloigne en riant. Je continue ma ronde, et vingt mètres plus loin, je rencontre l'Adjudant BRISSONNET qui fait sa tournée; nous causons cinq minutes, et après l'avoir quitté, la tête bien d'équilibre, j'arrive à P.P.16 DUPLAIN est assis devant son créneau, son fusil-mitrailleur en position sur le parapet. BAYLE me dit:" Je ne suis pas tranquille! J'ai entendu tousser sur le billard… Je crois bien que les boches cherchent à nous jouer une farce! "

            Je descends dans le petit poste; j'arrive au fond du boyau… aucun bruit… le petit poste est à deux mètres d'un poste ennemi. J'avance lentement, le browning à la main. J'entends respirer fortement devant moi. Je fais encore deux pas et me jette dans un morceau de bois, ce qui me fait jurer de colère!

" C'est toi, ARVIS? Dis une voix… Tais-toi! "

" C'est toi, HERBRECHT? Qu'est ce qu'il y a ? "

" Les boches rôdent au dessus du poste! "

En effet on entends remuer. ( Le poste est souterrain, mais possède un créneau en fer permettant de voir par un petit trou tout se qui se passe en avant! )

On traîne des morceaux de bois sur nos têtes… Je regarde par le trou du créneau… Je vois passer une ombre devant, et le créneau bouge: un boche essaie de l'enlever! Je dis à voix basse à HERBRECHT et à GIROUD:

" Attention! Tenez bon le créneau! Ces cochons-là sont en train d'essayer de l'arracher pour nous jeter des grenades! "

            Nous tirons le créneau à nous; on entends le boche jurer! Il doit avoir une perche avec un crochet, mais à nous trois, nous tenons bon! Voyant que le boche ne veut pas lâcher, je passe le canon de mon pistolet lance-fusée par le trou du créneau, et je lance une fusée qui vient éclater dans le poste ennemi.

"HERBRECHT, tire dedans! ! "

            Vite se dernier décharge son pistolet automatique sur deux boches qui sont couchés en avant du poste, et qui tiennent le crochet! Nous les voyons très bien, à la lueur de la fusée! Les deux Fritz sautent dans leur trou… La fusée s'éteint… Nous en profitons  pour enlever le créneau, et retirons la perche en vitesse…

" Tâchez de faire attention… Je continue ma tournée! "

" Oui, mais dépêche toi de nous faire relever, car on commence à en avoir marre! ! "

            Je quitte mes deux camarades après cette deuxième aventure, sans me douter de se qui m'attends dans l'entonnoir…

            Je vais m'asseoir  à côté de BAYLE, et nous fumons une bonne pipe. Soudain, un sac à terre roule dans la tranchée… Je lève la tête, et, au même moment, je vois une silhouette noire sur le parapet. Je me lève: stupeur; le créneau en acier bascule et disparaît.

" Ah! Zut! Crie BAYLE; les boches qui s'sauvent avec mon créneau! ! "

            Il prends des grenades et les jettent en avant de nous, après les avoir fait percuter sur une planchette! Elles éclatent avec fracas en avant de nous.

            Un sifflement, et un objet vient tomber  derrière nous sur le parapet! Nous nous jetons à terre; boum… une violente explosion! Des éclats nous sifflent  aux oreilles, et, avant que nous ayons eu le temps de bouger, une demi douzaine de grenades explosent autour de nous! Heureusement qu'une tôle nous protégeait, sans cela nous étions fichus! DUPLAIN se relève en jurant après les boches. Soudain il se met à crier:

" Cochon… attends… M…. alors...

Il bondit sur le parapet, à la poursuite d'un boche il vient de lui enlever son fusil-mitrailleur!

" Mon trois-pattes!… ou j'te casse la gueule! ! "

Des détonations sèches claquent dans la nuit: ce sont des coups de revolver! BAILE  et moi, nous prenons chacun un fusil, prêt à tirer… Des coups de fusil partent des postes allemand… des balles sifflent à ras du parapet. DUPLAIN arrive en courant, et saute dans l'entonnoir; il a son fusil qu'il remet en place, et il se met à décharger deux bandes de cartouches.

 " pour calmer les boches " dit-il!

" Tu n'vois pas ça, dit-il! C'cochon-là qui s'sauvait avec mon trois-pattes! J'lui ai fichu un coup d'rigolo dans l'dos! Tu parle d'une culbute! Mais, mon vieux, j'l'ai échappé belle! !

            Le lendemain, de P.P.16, on apercevait le cadavre du boche tué par DUPLAIN, étendu dans les barbelés.

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Commentaires
C
superbe evocation ce carnet on en demande encore...<br /> bien cordialement<br /> christian<br /> adischats
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