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Guerre 1914 / 1918 - Le 407° R.I.
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22 septembre 2009

DERNIERS EFFORTS (14)

DERNIERS EFFORTS.

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La nuit est venue. Les hommes se rapprochent, marchent entre les abris, bloqués par des morts. On se groupe et on s'accroupit. Quelques-uns ont posés leur fusil à terre; nous sommes noircis, brûlés, les yeux rouges; et balafrés de boue! On ne parle presque pas, mais on cherche ceux qui sont encore vivants…

Dans la plaine, les brancardiers cherchent, s'inclinent, s'avancent deux à deux. A droite, on entends des coups de pioches et de pelles.

De la tranchée, nous voyons, vers l'est, une lueur se propager, plus bleue, plus triste qu'un incendie: c'est le matin qui vient…

La plaine est un épouvantable charnier; les cadavres y foisonnent! Des hommes vont et viennent, identifiant les morts de la veille; retournant les restes, et cherchant des camarades!!

Plus loin, on retrouve des cadavres qui ne sont pas de la veille, et pourtant, ce sont des français! Ce sont des Zouaves de l'attaque de Mai. Nos premières lignes se trouvaient alors au bois de Berthonval, à sept kilomètres du point où nous nous trouvons actuellement. Dans cet assaut formidable de Mai, les vagues d'assaut étaient parvenues jusqu'à ce point. Trop avancées sur le front d'attaque, elles ont été prises de flanc par les mitrailleuses, qui les ont fauchées, leur trouant le dos, les hachant!!  A côté de têtes noires comme des momies, remplies de larves, où la blancheur des dents pointe dans les creux; à côté de pauvres moignons, on découvre des crânes nettoyés, jaunis, coiffés de chéchias en drap rouge; des fémurs sortent de loques infectes… Des côtes parsèment le sol, et auprès de ces débris humains, des quarts et des gamelles, transpercés et aplatis…

Parfois, des renflements  allongés, car ces morts sans sépulture finissent par entrer dans le sol! Un bout d'étoffe, ou un soulier, sort, indiquant qu'un soldat est anéanti là!!!

Il y a même  des cadavres ennemi en putréfaction; avec leur calottes grises, leurs vestes verdâtres, et leur figures desséchées, dont l'intérieur est une fourmilière… Des vers sortent des trous , où étaient leurs yeux… A côté d'un trou d'obus, une main crispée, jaunâtre, sort de terre…

Le talus ou nous sommes s'appelle la tranchée des Zouaves. – La terre est tellement pleine de débris de toute sorte: troncs d'arbres, obus, cadavres, etc.. que les éboulements découvrent des hérissements de squelettes, de pieds et de crânes!!

Le fond du ravin est tapissé de débris d'armes, de linge et d'ustensiles! On foule des éclats d'obus, des ferrailles, des casques troués par des balles…  Dans le boyau Nicht, deux cadavres allemands sont étendus : un sous-officier, sur la banquette, le ventre ouvert; à côté de lui, un autre allemand, le crâne fracassé…

Des sifflements déchirent l'atmosphère! Une rafale de fusants éclate sur nous: c'est le tir de barrage qui recommence!  Un ronflement rauque nous tombe dessus; on se jette à terre, pas assez vite: le schrapnel éclate, assourdissant! Un soldat tombe, les bras en avant. Un autre s'abat comme une masse! Deux autres se sauvent en hurlant, pour aller tomber grièvement blessés, cent mètres plus loin…

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Le mont St Eloi dresse ses tours fracassées. Pauvre église!! Il n'en reste plus rien… C'est le point de repère de l'artillerie lourde ennemie! Le village est à moitié en ruine… C'est là que nous défilerons demain, si nous sommes relevés! Mais cette relève n'est pas encore faite!! DIDIER, agent de liaison, arrive, et nous dit: " On n'est pas relevés! tant que le 407 n'aura pas pris le Bois de la Folie! C'est le Général FOCH qui là dit! "

Ce n'est donc pas la peine de penser au repos! Après tant de souffrances, il va falloir remettre ça!  C'est malheureux tout d'même!!

Nous touchons des cartouches et des grenades. C'est pour de bon… L'artillerie commence son tir: un bombardement pépère!! Qu'est-ce que les boches vont encore prendre sur le nez! Le 2ème régiment de la Garde Prussienne prend la piquette…

Le Capitaine MOREAU arrive, ajuste son lorgnon, et, en se grattant la barbe, nous crie: " Mes p'tits gars, c'est l'heure! Attention! "

Le Sergent SCARONI, lui parle. Sa figure violacée se crispe. Il prends un air grave pour hurler: " 9ème Cie… Baïonnette… on… "

Il monte sur la banquette, et au moment où l'artillerie allonge le tir, donne la main au Capitaine MOREAU, qui saute sur le parapet, en hurlant l'ordre d'assaut: " En avant, les gars! "

Nous partons en hurlant… Je ne veux pas décrire ce dernier assaut, car il y en aurait trop!! 

En trente bonds, nous sautons dans la tranchée ennemie. Une lutte terrible de corps à corps s'y livre pendant une demi-heure… L'ennemi se sauve. Un petit sous-lieutenant nous arrête, au moment où nous allions repartir en avant: " Retournez la tranchée " crie l'officier. Une balle lui fracasse la cervelle, et le renverse sur le parapet… Nous sommes consternés, et furieux de voir tomber notre chef! L'ennemi, à ce moment, arrive par un boyau, et commence à nous tirer dessus… Plusieurs camarades tombent… Un sergent se dresse pour crier un ordre: une balle lui rentre son cri dans la gorge… Le Caporal MARLY jette des grenades; il s'abat, tué raide, sur son sergent…

Nos chefs sont frappés l'un après l'autre! Il n'y a plus de commandement. Piétinant des cadavres, tirant au hasard, la tête découverte, nous repoussons la contre-attaque, avec des pertes cruelles pour nous!

Dans la tranchée, aux cris des hommes tirant sur l'ennemi, se mêlent maintenant les gémissements des blessés! Un petit soldat du 74ème, la poitrine traversée, veut mourir en regardant l'ennemi. De sa main crispée, il bouche le trou par où son sang coule. Mais bientôt, épuisé, il roule au fond de la tranchée, dans la boue sanglante… Pierre MARTIN, tu est mort face à l'ennemi… Tes camarades se souviendront de ta fin!

Autour d'un trou d'obus, dans la boue rougie, crient encore quelques blessés qui agonisent en poussant des hoquets rauques, couchés sur des morts ennemis.

Aujourd'hui encore, je me demande comment je n'ai pas été tué! La crosse de mon Mauser fracassée d'une balle; mon bidon traversé; mon casque fendu!! Et dire que je suis sorti de cette mauvaise passe sans une seule égratignure!!

A la tombée de la nuit, jugeant notre position intenable, le Colonel ALLAIN nous donnais l'ordre de nous replier. Notre assaut n'avait servi qu'a faire tuer cinquante de nos camarades, et nous nous replions avec autant de blessés…

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