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Guerre 1914 / 1918 - Le 407° R.I.
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4 juillet 2010

Pendant la bataille (24)

PENDANT LA BATAILLE.

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Je suis à plat ventre dans la terre calcinée, et je rampe lentement. Autour de moi, des balles s'enfoncent en terre… Le terre que j'ai dans les yeux me fais souffrir, et mes mains me brûlent! A un moment, je me couche dans un trou d'obus, et je pleure, en attendant la mort…

Les obus éclatent sans arrêt autour de moi. Le " Ravin de la mort " mérite bien son nom! C'est un véritable enfer! !

            Je n'ose pas bouger; soulevant la tête, je vois un trou d'obus quelques mètres en avant; je me dis: Aurai-je le temps  d'aller jusque là? … Non, je serai tué avant! … Mais par quoi serai- je tué? Par une balle? Ou par un éclat d'obus? Oh, pourvu que je ne souffre pas! Si je suis touché au ventre, j'agoniserai là, pendant combien de temps? … Si seulement j'étais tué raide! !

            Horreur de ces moment tragiques ! !

Ayant repris un peu de courage, je repart en avant, allant de trou d'obus en trou d'obus, trébuchant dans les troncs d'arbres, et sur les cadavres des camarades!

            Ici, près d'un tronc d'arbre, je vois encore JOSTEINS, étendu sur le dos, une balle dans la tête! et sa main crispée serrant son fusil ! les yeux ouverts… pauvre garçon! Je pensais à sa femme, habitant Lille, et à sa petite fille de 6 ans!

Plus loin, je reconnais GUIGNARD, le visage jaune et le front ouvert  par l'éclat qui l'a frappé à mort… D'un dernier bond, je cours jusqu'au ravin. Les balles ricochent  de tous les côtés. J'aperçois DIDIER et CHALLES. Ils sont couchés derrière un tronc d'arbre, et ils tirent sur les boches qui arrivent par le ravin.

" Prends le boyau, me crie DIDIER, le poste de secours est dans la carrière! "

            Je fut le dernier du 407 qui les ait vus! Ils sont tombés là, sans doute broyés par un obus! ou bien enterrés par une marmite… Pauvres diables!

            Je cours dans le boyau qui est bleu de cadavres. Les balles sifflent par milliers… Une mitrailleuse ennemie prend le ravin en enfilade… Les marmites éclatent  avec un bruit de tonnerre, en soulevant des monceaux de terre. Je trébuche à chaque pas sur un cadavre… Nos pertes doivent être terribles!! Je vois CARMOT Jean de la 4ème Section étendu sur le parapet avec BERAUD. Je vois mon pauvre BOZONNET étendu, couvert de sang. COLLARDOT, un peu plus loin, se traîne sur des cadavres, en appelant les brancardiers! – Ici, vers un abri individuel, un corps décapité: c'est LALIGUE. – A côté de lui, JOSSERAND est étendu sur le dos, et ses yeux, déjà vitreux, regardent le ciel où éclatent des fusants……

            Je vois CLARMET, un pionnier, étendu dans un trou, le visage jaunâtre; il pleure… Il a le ventre ouvert, et deux balles dans une jambe. Vigneron a une jambe broyée. Ils me supplient de dire au brancardiers de venir les chercher!

            J'arrive vers le poste de secours. Je vois le Sergent LABAYRADE et mon pauvre RIQUET. Les autres , que sont-ils devenus? Ils n'en savent rien! Où sont mes braves gars de la 7ème escouade: HERBRECHT, GIROUD, DUPLAIN, PONCET, etc..  ?  Peut-être sont-ils étendu sur le parapet…….

            Je passe à côté du poste de secours sans m'y arrêter; les blessés se pressent à l'entrée! Des morts sont couchés l'un à côté de l'autre, à côté des brancards broyés par des éclats…

            Je vois des brancardiers suivre un espèce  de boyau, trous de boue  infecte qui montent en serpentant vers la crête du Fort de Souville. Des éclatements font sauter la terre de place en place. L'air est rempli d'une fumée jaunâtre. Le bombardement est épouvantable. On se croirait au milieu d'un orage qui dure sans cesse, et où la foudre tombe dix fois par secondes. Du côté de Souville, un crépitement,  et des coups sourds. C'est notre tir de barrage! Quel enfer! !

            Autour de moi, la terre est broyée, et de chaque côté du boyau, des débris d'arbres, de chevaux, de sacs, bidons, lambeaux d'uniformes, et, toujours, des cadavres bleus! !

            Je cours dans la direction de Souville, cherchant à échapper à se bombardement  qui me rend fou… Je trébuche dans un trou, et je tombe. Je suis enlisé dans la boue jusqu'aux genoux! Impossible de remuer! Je ne peux me servir de mes mains pour m'en sortir! Le sang coule de mes blessures… Je m'appuie au talus, désespéré, courbant la tête sous la pluie de pierres et d'éclats… Un 105 mm. éclate à une dizaine de mètres, dans un trou d'eau, me couvrant de boue…

            Je suis resté là, enlisé, accroupi, recroquevillé, le cœur tordu par l'angoisse morale que donne le contact des morts ( il y avait un cadavre à côté de moi! ) et cette pluie de fer qui ne s'arrête pas… Un blessé arrive… Je suis sauvé! Je lui crie

" Donne moi la main pour m'aider à sortir! "

Il se sauve, affolé, sans vouloir me donner la main. Chacun pour soi! Beaucoup ne pense qu'a eux-même et écraseraient leur frère pour se sauver plus vite! !

            Heureusement, un officier, un bras en écharpe, vient vers moi, et réussi à me tirer de mon trou, en se servant de sa main valide. Je suis jaune de boue, j'ai du sang sur le visage, mes bandes molletières traînent derrière moi … Je réussis à arriver au sommet de Souville! Comment? Je l'ignore encore! ! Je n'était plus un homme, mais une loque humaine… arrivé là-haut, je regardais du côté des lignes où la bataille faisait rage. Les crêtes de Fumin, Chénois et Vaux-Chapitre étaient couvertes de fumée et d'éclatements. Le village de Fleury avait disparu. La fusillade crépitait sur toute la ligne. Où étaient les boches?

            Je n'était pas encore au bout de mon calvaire. Il me restait cinq kilomètres à faire pour arriver aux poste de secours établis de Béveaux à Marceau. Je sentais mes forces m'abandonner, ne pouvant plus me traîner. Je marchais pendant deux minutes, et après avoir parcouru vingt mètres, je tombais à terre! J'avais une soif terrible… ma tête me faisait mal. Sous le bombardement, je sentais la folie me gagner! Je me vois encore, étendu, essoufflé dans un détour de boyau, me collant contre les parois, pour éviter les éclats qui tombaient… Ma capote me gênait… J'étouffais… Mes manches étaient pleines de sang, mon pansement défait, ma capote enduite de boue; je perdais mes bandes molletières…

            Combien de temps suis-je resté là? Je l'ignore! Mais une marmite éclatant à proximité me donna l'énergie de continuer ma fuite vers l'arrière. Hélas! Je tombais à tout instant…

            Je rencontre des sections  du 405ème, qui montent là-haut aider le 407ème à arrêter l'attaque ennemie. Un sergent me pousse du pied; il me croyais mort! ! Je me soulève sur un coude… Mon casque a roulé sur le terrain; j'ai le visage plein de sang et de boue… Je demande à boire au sergent. Il prend son quart, y verse de l'eau avec du vin, et me maintenant la tête, me donne à boire comme à un enfant! Je me sens revivre… J'ai encore soif,  mais je n'ose en redemander, de cette boisson qui me ranime, car tous ces camarades qui vont attaquer! ! Ils auront soif aussi… Je dis merci au sergent qui s'éloigne avec sa Section vers les lignes, vers la mort! !

            Je laisse passer le 405ème, et la tête sur une pierre, je repose… Quelques hommes marchent sur moi… je suis à un tournant, mal placé… Enfin le flot est passé; je repars, arrive dans un bois où des pièces d'artilleries crachent sans arrêt. Je suis à la Fourche. Je monte sur le dessus du boyau, et, continuant mon chemin, je me dirige  à travers les canons. Les pièces tirent. Là dans une carrière, quatre obusiers tirent… Je suis à cinq mètres. Je n'entends même pas le bruit des départs. Une marmite tombe au milieu d'un dépôt de munitions, qui saute. Je cours cent mètres, pour aller tomber à la porte d'un abri d'artillerie. Un agent de liaison et un lieutenant me font descendre. Oh, Les braves garçons! ! Je demande à boire. Le Lieutenant me fait donner un quart de thé. Je me sens revivre! ! Il me demande des renseignements sur l'attaque, et me raconte que l'ennemi a pris la Redoute de Thiaumont, et le village de Fleury. Il n'en sait pas plus…

            Je veux repartir;  le brave officier me fait boire un grand verre de rhum. Je repars après l'avoir remercié. Je traverse les casernes Marceau sans m'arrêter; le rhum m'a donné des jambes! J'arrive au Cabaret rouge, ou se trouve un poste de secours. Plusieurs centaines de blessés sont autour, attendant les autos. Plus de cinquante sont sur des brancards. Des morts sont alignés sous des toiles de tentes…

            Je fais faire mon pansement, et je repars sur Verdun. Les grosses marmites tombent toujours! Je suis moins en danger; aussi je commence à respirer! Enfin, j'arrive à Béveaux, où je trouve le Sergent-major. Deux heures plus tard, je suis à Dugny, et, de là, à Revigny. En auto, après plusieurs pansements, on m'expédie sur Vittel…

            Deux jours après, à l'hôpital je lisais le communiqué français, sur un journal suisse:             " Après une violente préparation d'artillerie, les D.I. allemandes ont attaqué, sur notre front de Vaux-Chapitre et Thiaumont. Sur certains points, des éléments ennemis ont pénétrés dans nos tranchées. Nous avons fait une cinquante prisonniers. "

Communiqué allemands, même journal:

            " Nous avons attaqué, avec 7 D.I., le secteur de Vaux-Chapitre ( 1er et 3ème C. Bavarois, 15ème C. du cops alpin, de la 19ème D.I., de la 1ère et 103ème D.I., 1ère et 39ème D.) Après une résistance acharnée des Français, nous avons pris d'assaut la redoute de Thiaumont, enlevé de haute lutte Fleury, et avancé, en profondeur, de 500 à 1500 mètres, sur un front de 4 kilomètres. Nous avons pris 60 mitrailleuses, et fait plus de 3000 prisonniers, dont un grand nombre d'officiers, faisant partie de plusieurs D.I. –"

            Pour cette attaque, l'ennemi avait employé des forces considérables! Le bombardement avait été effroyable! ! Plus de 200 000 obus asphyxiants avaient été lancés sur Souville pendant l'attaque. – Nos pertes furent terribles! !  La 9ème compagnie fut complètement décimée! !

             Après cette bataille, la Division fut dissoute. Le 405ème supprimé. On crut bien que le 407 y passerait, mais il resta… Voilà l'ordre du jour du Colonel, n° 129, à ce sujet:

" Ordre n° 129 – Officiers, sous-officiers et Soldats:

            La menace est définitivement écartée! Le 407ème, phalange d'hommes exaltés par une ardente communion dans la souffrance comme dans la gloire, pendant plus de quinze mois, ne disparaîtra pas! ! Le régiment doit l'existence à son drapeau décoré! Vous l'avez honoré! Comme par le passé, vous serez ses gardes! ! Serrés autour de sa hampe magnifique, heureux de vivre pour combattre encore, surs de voir la grande Victoire. . . Le 407, fier des affections qu'il a crées, poursuit sa route.

            Officiers, sous-officiers et Soldats, tous, mes amis, Salut au Drapeau du Régiment, et Vive la France! !

10 juillet 1916  -  Colonel ALLAIN. "

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